Micheline –
Ils marchent depuis l'aube. Partis dans la pénombre, ils ont vu peu à peu la lumière chasser la nuit et révéler
le paysage. Comme tous les matins, le soleil levant a dessiné devant eux leurs ombres immenses. Petit à
petit, ils ont senti la chaleur s'intensifier sur leur nuque et maintenant ils rêvent de quelques nuages qui
viendraient assombrir ce ciel infiniment bleu.
C'est une petite église romane qui va leur offrir ce cadeau. Posée au milieu de nulle part près d'un chêne
séculaire, elle est bâtie en pierre rose et sa porte en bois sombre leur promet déjà la fraîcheur d'une oasis.
Passer du sable blanc du Chemin à l'obscurité de la nef les aveugle soudain. Ils sont dans le noir total. Mais
très rapidement, la faible lueur qui descend de quelques vitraux leur permet d'apprécier le lieu : juste une
petite nef et une voûte en berceau au-dessus de l'autel. Pas de sculptures, pas de dorure, la pierre uniquement.
Elle reste debout dans le choeur. Il va s'asseoir. Le silence est profond, mais il sait qu'elle va chanter. Le
temps s'arrête. Plus rien n'existe que cette douceur de lumière.
Du plus profond de son corps, un son grave émerge, un son qui vient de la terre, du Chemin qu'ils foulent
depuis longtemps déjà. D'autres suivent qui racontent les difficultés mais surtout les joies, la beauté des lieux
traversés. Et les rencontres, étonnantes parfois mais toujours amicales.
Et la voix s'élève, lumineuse sous la voûte. Elle ne chante pas des mots mais des sons venus de son âme, de
la lumière qui l'habite. Elle sait qu'il l'écoute et lui offre cette part d'elle-même.
Lorsqu'elle s'arrête – non, elle ne s'arrête pas, ça s'arrête tout seul – le Chemin chante toujours en elle. Un
long moment va s'écouler avant qu'elle puisse ouvrir les yeux, lui sourire et reprendre son sac pour rejoindre
l'autre lumière, celle du dehors.
"Voyageur, fils du ciel et de la Terre, n’oublie pas qu’être vivant c’est sentir la sève des jours te traverser de part en part. Sois debout et laisse le son que tu es, participer à la grande symphonie des mondes.
L’harmonie de nos différences de corps, d’idées, d’espoirs, de joies et de peines n’adviendra que lorsque chacun d’entre nous s’autorisera à offrir au cœur de l’invisible le son qui l’anime.
Voyageur, laisse aller cette voix, deviens la voie, pleinement, dans une présence totale. C’est à cette condition que cet autre qui te rencontre et que tu rencontres pourra investir lui aussi la grande partition des existences.
Si la voix n’est pas stable, incarnée, où est celui qui pourra faire confiance, laisser aller, se laisser aller, s’offrir ?
Les voix peuvent s’entremêler, se frôler, se toucher, et même si les sons ne sont pas les mêmes, les mélodies différentes, tant que chacun est bel et bien là, ici, maintenant, la rencontre peut avoir lieu.
La conversation de ces voix crée une entité nouvelle, momentanée… Fruit voluptueux de la rencontre.
Voyageur, ne cherche pourtant jamais à garder ce fruit car il n’existe que dans la dimension de nos éphémères et subtiles entrevues.
Fils du ciel et de la Terre, demeure désormais sans cesse là où sont tes pieds et chante ce que tu es, sans crainte, sans retenue ; car si nous sommes conscience apprenons à taire nos prétentions et nos pensées pour devenir la caisse de résonance du diapason de la vie."
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